sâmbătă, 10 martie 2012

Le retour des cerveaux (témoignage)

Je ferai ce témoignage depuis un double statut: comme diplômé d’une université européene (en l’occurrence française – l’EHESS) retourné dans son pays d’origine; puis, en tant que coordinateur d’un programme académique – Academic Fellowship Program (HESP/OSF), qui se propose de favoriser le „retour des cerveaux” en Europe de l’Est.

J’ai eu la chance extraordinaire d’avoir fait des études (de Master/ DEA et de doctorat) dans une université occidentale prestigieuse, telle que l’EHESS. Les avantages ont été cruciaux: l’accès à une expertise académique de premier ordre (professeurs, bibliothèques, etc.), l’ouverture sociale et culturelle (accès à des patrimoines culturels nationaux et/ou universels, mais aussi pour avoir connu des personnes d’un univers culturel différent du nôtre et pourtant humainement tellement proches – avec lesquelles je continue à maintenir des relations étroites, de collaboration); enfin, paradoxalement, la distance à la fois géographique et mentale par rapport à la réalité et aux problèmes de mon pays d’origine (avec toutes ses crises économiques, politiques, culturelles, identitaires, etc.) m’a permis de voir d’une manière „éloignée”, moins engagée, à penser les crises et souffrances de la société moldave d’une manière plus objectivante – sinon objective – comme objet de réflexion, au lieu d’être moi-même mu et manipulé par ces crises multiples.


Le dernier avantage – d'ordre euristique – peut se traduire aussi en un risque psychologique et social pour l’étudiant étranger (de l’Est) dans une métropole occidentale, à savoir la marginalité et le dépaysement. A force de s’intégrer dans le milieu d’adoption, on cesse quelquefois de comprendre intimement – quasi inconsciemment, jusqu’à l’identification complète – notre société d’origine, avec ses malheurs et souffrances. On risque de devenir en quelque sorte des marginaux à la fois dans le pays d’adoption et dans celui d’origine. Ce risque persiste même lorsqu’on prend la décision ferme de rester (dans le pays d’adoption) ou de revenir (dans le pays d’origine).

Tous mes amis moldaves (en général les amis originaires de l’Europe de l’Est) qui ont pris la décision de rester dans le pays d’adoption (France ou Canada), même les plus intégrés au point de vue systémique (ayant des postes dans des entreprises importantes), continuent à vivre à la fois leur marginalité dans le système d’adoption et leur dépaysement par rapport à leur pays d’origine (la Moldavie). Le dépaysement va souvent de pair d’ailleurs avec une certaine forme de patriotisme, parfois exacerbé (à l’égard de la patrie d’origine): même installés dans des postes et statuts très confortables, mes amis continuent à être vivement préoccupés par tout ce qui passe en Moldavie, en politique comme dans leurs anciennes relations personnelles. Les réseaux sociaux sur l’Internet diminuent quelque peu leur dépaysement et leur offre un moyen d’exprimer et de faire agir leur sentiment patriotique. D’autre part, mes amis et collègues qui ont pris la décision (difficile, on le comprend) de revenir en Moldavie et qui ont essayé de se réinsérer dans les systèmes locaux restent eux-aussi des marginaux, parfois en dépit – ou en raison même – de leur position avantageuse, s’ils ont eu la chance de trouver un poste dans le système non gouvernemental ou dans des programmes internationaux.

Quand je suis revenu en Moldavie fin 2006, à la suite d’une décision non moins difficile (bien que prise d’avance), le contexte personnel m’y aidant, j’ai dû accepter des fonctions subalternes, mal payées, dans une université de Chisinau, écrivant entre temps, pour survivre matériellement, des articles pour un magazine à la mode. Ce faisant je cherchais une source de subsistance plus substantielle et plus stable. En 2009, lorsque, pour multiplier mes chances de réussite, j’ai commencé à chercher des possibilités de retourner en France ou au Canada, la bourse du programme Academic Fellowship Program – accordée par l’Open Society Institute aux enseignants moldaves ayant fait des études en Occident – m’a donné une raison sérieuse de rester.

Malheureusement, cette bourse a été interrompue au bout d’un an du fait que je n’ai pas eu l’intelligence de m’adapter à l’administration – oppressive, disons-le franchement – du département où j’ai été engagé. Soit dit en passant, les étudiants moldaves dans les universités occidentales ne s’attendent pas à ce qu’ils soient reçus comme des messies dans les milieux professionnels du pays d’origine. Tout en étant parfois surqualifiés selon les paramètres occidentaux, ces derniers font des efforts importants pour trouver un poste honorable dans leur pays, en usant de tous les capitaux sociaux qu’ils détiennent pour une réintégration quelque peu efficace.

Une conjoncture heureuse a fait que, en 2009, l’ancien coordinateur de l’AFP ait dû quitter le pays en me recommandant pour ce poste à la direction du programme. A l’issue d’une sélection, j’ai été nommé dans le poste de coordinateur de ce programme en Moldavie. Academic Fellowship Program m’a permis de pouvoir contribuer, muni de certaines ressources institutionnelles, au « retour des cerveaux » dans mon pays.

En tant que coordinateur de l’AFP j’essaie de trouver de bons candidats pour cette bourse parmi les diplômés moldaves de Master ou de Doctorat en occident et de les recommander à enseigner dans les départements partenaires ainsi que de veiller à la bonne activité de ces boursiers dans le cadre de leurs départements respectifs. A vrai dire, ce n’est pas une tâche facile. Souvent je dois faire du lobbying extrêmement compliqué pour convaincre un chef de département à accepter un candidat potentiel, possesseur entre autres d’un diplôme de Master et/ ou Docteur dans une université occidentale. Je n’y arrive pas toujours.

Tout ce témoignage n’y est pas pour victimiser les « pauvres » diplômés moldaves des universités occidentales qui font des efforts « désespérés » de réinsertion dans leur société d’origine. Au contraire, je crois qu’ils sont des privilégiés (malgré leur marginalité), en raison de leur haute qualification (qui leur donne des chances accrues d’une insertion professionnelle avantageuse, dans leur pays ou à l’étranger), de la connaissance des langues (qui leur assure l’accès à différentes ressources et une certaine ouverture culturelle), tout cela associé à une liberté de mobilité importante.

Ces outsiders privilégiés peuvent devenir les agents d’une « révolution tranquille » (pour évoquer une expression chère aux Canadiens francophones), capables de hâter la transition de leur pays vers une modernité et une démocratie confirmées et durables. La question est de savoir si leur pays est prêt à les accueillir.

(Ce texte a été présenté à la conférence « La fuite des cerveaux : comment faire revenir les jeunes diplômés dans le pays d’origine ? Stratégies et expériences » tenue le 1er mars 2012 à ULIM, Chisinau).

Niciun comentariu: